Le droit de refus en temps de pandémie (COVID-19)

La pandémie de la COVID-19 a forcé le Québec à se mettre sur pause durant plusieurs semaines voir plusieurs mois. À l’heure où les gens réintègrent progressivement leur milieu de travail, la complexité avec laquelle doivent jongler les employeurs afin de rappeler leurs employés au travail n’est pas négligeable.

En effet, cette crise sans précédent amène les employeurs à se questionner sur la façon de procéder au rappel de leurs employés dans un contexte où le gouvernement du Canada met à la disposition des citoyens la «Prestation canadienne d’urgence» (PCU).  Ce programme d’aide du gouvernement amène un casse-tête pour plusieurs employeurs qui tentent de peine et de misère de rappeler leurs salariés au travail alors que certains usent de prétextes les plus futiles les uns que les autres afin de continuer de bénéficier de cette prestation sans devoir retourner au travail. Afin de continuer de se prévaloir de cette prestation, certains travailleurs tentent d’utiliser le mécanisme du droit de refus pour éviter de retourner au travail.

Or, l’utilisation du droit de refus en cette période de la COVID-19 ne peut avoir lieu que dans certaines situations bien définies par la Loi et la jurisprudence et ne peut servir de simple prétexte pour se soustraire à son obligation de retourner au travail.

La Loi confère au travailleur le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger[1]. Afin de se prévaloir de ce droit, le salarié doit informer immédiatement son employeur ou un représentant de ce dernier des motifs au soutien de son refus de travailler[2].

Dans le cas qui nous occupe, il importe de comprendre que les travailleurs peuvent refuser de retourner au travail s’il existe un danger réel et objectif de contracter le coronavirus s’ils retournent au travail. La notion de «danger» diffère de la notion de «risque» souvent confondue par les employés et les employeurs pour justifier le refus de retourner au travail. La distinction entre les deux réside dans le fait que «le danger est plus qu’un risque. Le danger fait appel à une menace réelle alors que la notion de risque réfère à un évènement dont la survenance, bien que possible, est moins certaine. La menace doit être plus que virtuelle et constituer d’avantage qu’une simple crainte, inquiétude ou appréhension.»[3] Cependant, l’état de la jurisprudence a reconnue que « le danger n’a pas à être imminent, à savoir que sa réalisation n’a pas à être entamée, mais il faut plus qu’une simple crainte ou appréhension pour refuser d’effectuer un travail.»[4] Rappelons que le droit de refus est un droit d’ordre préventif et non curatif.[5]

Or, en contexte de pandémie, le simple fait de revenir au travail constitue en soi un risque pour tout travailleur, quel que soit le secteur d’activité. Cependant, cela ne constitue pas nécessairement un danger réel et objectif au sens de la Loi sur la Santé et sécurité au travail. Le simple fait de craindre de contracter le Coronavirus n’est pas en soi un motif raisonnable suffisant justifiant l’utilisation du droit de refus. Chaque cas est un cas d’espèce qui se doit d’être analysé à son mérite propre.

Ceci étant, le droit de refus n’est pas un droit absolu. En effet, un salarié ne peut pas exercer ce droit si le refus met en péril la vie, la santé ou l’intégrité physique d’une autre personne[6]. À titre d’exemple, un pompier ne peut refuser d’intervenir lors d’un incendie puisque cette tâche est inhérente à son travail. Par contre, cette tâche pourrait devenir anormale si des normes d’intervention sécuritaires ne sont pas respectées.[7] Par conséquent, il faut connaître l’existence des conditions normales du travail et analyser ces conditions en fonction du« genre de travail » exercé puisque chaque situation est un cas d’espèce.

De plus, malgré le droit de refus du travailleur, le cas échéant, l’employeur pourrait demander à ce dernier de rester disponible sur les lieux afin d’effectuer d’autres tâches qui ne l’exposent pas au danger allégué, le temps que l’employeur, son représentant ou l’inspecteur de la CNESST se prononce sur le droit de refus.

En cas de mésentente entre l’employeur et le travailleur sur le droit du travailleur de se prévaloir de son droit de refus, seul un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) peut trancher la question[8]. Ce dernier doit déterminer dans les plus brefs délais s’il existe ou non un danger justifiant la décision du travailleur de refuser d’exécuter son travail[9].

En terminant, il importe de rappeler que lorsqu’un salarié exerce un droit que lui confère la Loi, il ne peut être congédié. Par conséquent, l’employeur ne peut congédier, suspendre, déplacer ou exercer des mesures de représailles à l’endroit du salarié qui se prévaut de son droit de refus sur la seule et unique base qu’il exerce son droit de refus[10].

Toutefois, la jurisprudence a reconnu que lorsqu’un travailleur exerce son droit de refuser de travailler, de manière abusive, de mauvaise foi ou en violation des exceptions contenues dans la Loi, l’employeur peut lui imposer une mesure disciplinaire, dont la sévérité dépendra des circonstances. Par conséquent, un travailleur qui exerce son droit de refus de travailler sur la base d’un risque et non pas sur le fondement d’une crainte raisonnable de danger pourrait donc voir des mesures disciplinaires prises à son endroit.

Pour toutes autres questions sur le droit de refus, n’hésitez pas à communiquer avec l’une des avocates de notre étude qui se fera un plaisir d’y répondre.

 

[1] Loi sur la santé et sécurité au travail, L.R.Q. chapitre S-2.1, article 12.

[2] Supra, art. 15.

[3] Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec et ministère de la Sécurité publique (détention), C.L.P. 280061-04-0601, 23 août 2007, J-F. Clément, par. 146.

[4] Supra, paragraphe 146 (3)

[5] Supra, paragraphe 146 (8)

[6] Précitée, note 1, article 13.

[7] Girard et Québec (Ville de), CLP, n° 169104-32-0109-5, 20 décembre 2004, SOQUIJ AZ-50287645, Guylaine Tardif, par. 133 : « À l’évidence, le travail de pompier est dangereux en lui-même. Cependant, le danger est augmenté lorsque le pompier ne dispose pas de l’équipement requis et que l’organisation du travail n’est pas sécuritaire ».

[8] Précitée, note 1, article 18 et ss.

[9] Précitée, note 1, article 19 et ss.

[10] Précitée, note 1, article 30.

About the Author

Marie-Pier Cauchon

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *